La concrétisation de l'architecture passe inexorablement par sa matérialisation. Or mettre en oeuvre un ou plusieurs matériaux implique de mesurer les rapports entre les choses, c'est à dire questionner le vide, Il s'agit alors d'organiser la rencontre des éléments entre eux, c'est le rôle de l'assemblage et du joint. Le traitement de cette complexité requiert de la part du maître d'oeuvre une attention toute particulière car porteuse de sens. Passer au dessus, effleurer, passer entre des éléments ne racontent pas la même chose.
On constate trois attitudes principales liées à l'assemblage. L’architecte pourra avoir une conception atomiste de l’assemblage, instaurant une distance théorique entre les différents éléments pour révéler la nature de chacun, et procéder par rapprochements
pour constituer un tout ou non. Ou bien, au contraire, il décidera de faire fusionner les éléments et rendre illisible tout assemblage. Le traitement des angles d'un bâtiment, le rapport entre la toiture et le mur, sont autant d'assemblages, visibles ou invisibles, qui questionnent sans cesse la pratique du projet et actualisent ces constituants de l’architecture. Qu’est-ce qu’un mur ? Qu’est-ce qu’un toit ? Quelle « rencontre » pour eux ?
La plupart du temps ce sont les matériaux qui dictent l'assemblage. L'architecte s'attache alors à réunir les compétences, pour ne pas dire les intelligences, de chaque matériau. Savoir écouter les matériaux, comprendre leur fonctionnement statique grâce à l’ingénieur amène à rationaliser au maximum l’assemblage. Cette expression de la rencontre, on la retrouve à travers le joint. Ce dernier fait coexister des matériaux dont les tolérances de pose sont différentes. Le vide permet d'anticiper et d'encaisser celles-ci au moment de la mise en oeuvre sur chantier. Le travail sur le joint est un travail sur la tolérance. Elle fait appel à la question du dessin. Jusqu’où dessiner et à quel moment ? Faut-il laisser une marge pour le savoir-faire de l’entreprise ? Si oui, laquelle ?
A un certain moment, les détails sont des éléments techniques qui doivent être communiqués par l’architecte à celui chargé de les réaliser. Le détail qui fait l’objet d’un plan, d’un dessin, signale un dialogue de l’idée conceptuelle avec la réalité matérielle de la forme construite.
Le travail sur l’assemblage concerne toutes les phases du processus du projet depuis sa conception à sa réalisation sur le chantier. Durant la conception, c’est l’utilisation de la coupe qui traduit au mieux les assemblages, c’est la coupe qui permet de voir pratiquement en trois dimensions, elle pose le regard.
Assembler, c’est « mettre ensemble », réunir. On peut imaginer de trouver une valeur sociale de l’assemblage, jouant sur l’enchaînement des tâches durant la mise en oeuvre. Ainsi, la pensée de l'assemblage peut réunir l'ingénieur et l'architecte, l'architecte et l'entrepreneur. 
Les réglementations sur la thermique ont bouleversé les assemblages traditionnels notamment autour de la question de la paroi. La prolifération des matériaux constituant l’enveloppe, la peau du bâtiment a modifié les rapports des matériaux entre eux.
Je pense que c’est à l’intérieur de l’assemblage que réside l’innovation pour l’architecte. 
Il peut unir les choses par des rapports nouveaux. Utilisation de matériaux inélégants avec élégance, utilisation de nouveaux matériaux, détail courant mais répétitif. Ainsi, que signifie être auteur ?
Je crois également que les détails sont des moments forts de la création originale et souvent, pour citer Carlo Scarpa, « l’autographe » du bâtiment.

«L’auteur est la personne (individuelle ou collective) dont l’intervention responsable dans un contexte donné donne lieu à une oeuvre qui, tout en reflétant généralement certains aspects de sa personnalité, a pour effet d’élargir les possibilités d’expérience offertes à ses récepteurs. »
Ludwig Wittgenstein , Penser, dessiner, construire, p97
Sur le chantier, le travail sur l’assemblage continue, il faut faire attention aux plans d’exécutions des entreprises car la moindre épaisseur de matériau modifiée par exemple a des répercussions sur tout l’assemblage. La tolérance du gros oeuvre peut également entraîner de repenser l’assemblage sur le chantier. Il s’agit de s’assurer de la cohérence de tous les plans d’exécutions. 
Penser l'assemblage, c’est parfois aussi penser le désassemblage. On peut remplacer un matériau usé par le temps. Désassembler c’est penser un certaine forme de flexibilité. On interroge ici la mise en oeuvre et la maintenance et on entre sur le terrain
du durable.

Quand Koolhaas parle de l'assemblage des matériaux de l'enveloppe architecturale, le joint devient la matérialisation du concept général d'instabilité culturelle et sociale.
"Le joint ne fait plus problème : les transitions se font par agrafage et collage, les vieilles bandes marrons maintiennent tout juste l'illusion d'une surface sans rupture, des verbes inconnus de l'histoire de l'architecture sont devenus indispensables : serrer, sceller, plier, jeter, coller, amalgamer. [...]. Là où autrefois le détail suggérait le rapprochement, peut-être définitif, de matériaux disparates, il n'est plus maintenant qu'un attelage transitoire, attendant d'être défait et démonté, une étreinte temporaire à laquelle aucune partie prenante ne pourra survivre. Ce n'est plus la rencontre orchestrée de la différence mais l'impasse, la fin abrupte d'un système."
Rem Koolhaas, Junkspace in Content 2004.
De façon générale, un joint désigne "soit la ligne séparative et le garnissage ou calfeutrement d'un interstice entre deux éléments quelconques de même nature (pierres, briques, carreaux, tuyaux...) ou de natures hétérogènes (par exemple, une jonction bois-maçonnerie) soit une solution de continuité voulue, c'est à dire une rupture rectiligne ménagée dans un ouvrage pour absorber des différences de mouvement ou de comportement" (source : Dicobat, dictionnaire général du bâtiment, éditions
Arcature).
La production des innombrables matériaux industriels continue de se confronter à la question du joint à part le mur de béton armé ou le revêtement en plâtre, qui peut, dans une mesure différente, offrir une surface sans joint. Je dis dans une certaine mesure car il existe également les reprises de coulage entre banches. Certains joints permettent enfin de comprendre la mise en oeuvre du dispositif. Je pense notamment au béton, surface continue par nature, et qui emprunte à la sculpture la technique du
moulage. La mise en place du coffrage va déterminer le résultat, par empreinte. Prenons pour exemple le plancher incliné et incurvé en béton armé apparent de la salle Zénith à Lille par Koolhaas. Les panneaux rectangulaires des coffrages sont disposés
sans être raccordés, ceci afin d'éviter tout élément spécial. La coulée de béton, en remplissant les joints transformés en de larges fentes vides, dessine ainsi une trame informe de bandes en relief.

Les types de joints sont nombreux (debout, en creux, vifs…) et ils correspondent chacun à des domaines différents du bâtiment mais le joint représente toujours le vide entre les éléments. Ce moment de silence influe vraiment sur la qualité architecturale ainsi que sur sa valeur conceptuelle.
Ces outils sont autant de domaines d'investissements puisqu'ils permettent l'expression de l'architecture. Ils racontent les intentions de l’architecte. L’expression de l’architecture ainsi que sa perception passe par ce travail sur le vide entre les
éléments. L’assemblage et le joint sont autant d’outils pour « faire » l’architecture.
L’assemblage est pour moi le lieu où se concentrent les possibles, les rencontres entre les acteurs du « construire ». Il concrétise pour moi une forme d’aboutissement du projet. Il participe surtout de l’enthousiasme de voir une intention se matérialiser sous
nos yeux.

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